Actions réalisées dans le passé
Etat des connaissances de l'érosion à Mayotte
Les premières études relatives à l’érosion des sols en zones agricoles et naturelles à Mayotte remontent aux années 90. Raunet M. (1992) propose une analyse de la dynamique de l’érosion des sols à l’échelle des bassins versants de l’île (44) sur une période de 10 ans (1991-2000) à partir d’indicateurs multicritères prenant en compte les facteurs biophysiques et humains jugés les plus déterminants (nature des sols, pente, couverture végétale, pratique culturale, mesures anti-érosives existantes, agressivité des pluies, densité de population). Les résultats synthétisés et représentés sous forme de cartes montrent clairement une dégradation des facteurs étudiés et, conséquemment, une accentuation significative de l’érosion entre 1991 et 2000 sur la plupart des bassins versants de l’île. L’auteur propose déjà des pistes de solutions en matière de lutte contre l’érosion en privilégiant les mesures biologiques. Les premières quantifications de l’érosion agricole sont initiées avec la mise en œuvre du programme CORDET 1992-1996 (Programme de recherche du ministère de l’Outre-mer). Les mesures ont été effectuées à partir de dispositifs de type Wischmeier, à l’échelle de la parcelle et pour des pentes inférieures à 25%. Les résultats dans leur ensemble ont clairement souligné l’extrême fragilité des sols de Mayotte : sur sol nu dégradé de padza les pertes de sol par érosion peuvent dépasser les 100 t/ha/an et sur sol cultivé elles varient conformément au type de couverture végétale et de pratique culturale appliquée, de 0,3 t/ha/an sous ylang-ylang sur gazon, à 2.0 t/ha/an sous manioc non sarclé jusqu’à 30,0 t/ha/an sous Pueraria sur sol nu (Lapègue J, 1999).
Dans les années 2000, les études sur l’érosion des sols agricoles ont été poursuivies par le Cirad dans le cadre du programme sur les activités agricoles et la gestion durable du patrimoine foncier du Conservatoire de l’espace littoral et des rivages lacustres de Mayotte. Tout comme dans le programme CORDET, les dispositifs de mesure ont été réalisés à l’échelle de la parcelle mais sur des pentes supérieures à 25% avec l’utilisation d’un équipement plus approprié tel que l’érodimètre différentiel à aiguilles. Les résultats du Cirad ont confirmé la fragilité des sols : sous cultures de manioc et suivant le type d’année pluviométrique, les pertes en terre peuvent aller de 3,0 t/ha/an sur sol butté et végétalisé, jusqu’à 120,0 t/ha/an sur sol non sarclé (Aufray, 2004 – Ferret, 2004). Si les quantités mesurées apparaissent beaucoup plus importantes que celles déterminées dans le cadre du programme CORDET, cela s’explique principalement par la prise en compte de pentes plus fortes sur lesquelles l’érosion linéaire prédomine (formation de rigoles). Les quantités mesurées sont conformes à la nature des sols volcaniques considérés comme très sensibles à l’érosion, Le même ordre de grandeur a été observé à la Réunion, au Cap Vert, à Tahiti par l’Institut de Recherche-Développement (dans Bulletin Réseau Erosion de l’IRD). Initiées au milieu des années 2000, les premières études à l’échelle de bassin versant reposent sur la méthode des bilans spatialisés des flux de terrigènes (Valles V., 2006). Outre la quantification des pertes en terre, la méthode a permis d’identifier l’origine des sédiments et ainsi de déterminer les zones productives au sein des bassins étudiés, zones à aménager en priorité. Par la suite, le programme du Cirad à Mayotte a permis de produire les premières cartes sur l’érosion locale et sur les aléas érosion à l’échelle de bassin versant (Guillobez 2002). Les cartes ont été périodiquement complétées et enrichies par le Brgm en produisant, à l’échelle communale, l’Atlas des Aléas Naturels, dont l’érosion des sols (agricoles et non agricoles).L’objectif principal de l’Atlas est de faire ressortir les “points noirs”, zones fortement dégradées de l’île.
Les premières mesures de lutte contre l’érosion aux Comores de type génie rural, ont fait appel aux techniques et aménagements exclusivement mécaniques (terrasse, remblais, banquette, …). Très lourdes et très couteuses, ces mesures ont fait l’objet de critiques quant à leur efficacité et durabilité dans la mesure où les modalités d’entretien et d’utilisation n’avaient pas été garanties à moyen-long termes par les pouvoirs publics (Brouwers M., Subreville G., Latrille E., 1981). Dès le début des années 2000, les techniques dites agrobiologiques sont préconisées au détriment des mesures exclusivement mécaniques (Raunet, 1992). L’auteur recommande également de ne pas cultiver sur des pentes supérieures à 40% tant que cela est possible et de limiter les cultures vivrières uniquement pour des pentes inférieures à 20%. Les premiers essais agronomiques de type biologique pour la préservation des sols agricoles ont été développés par le Cirad au début des années 2000. Lestechniques de lutte agro-écologie reposent sur l’utilisation de plantes de service (couverture morte ou vivante du sol) en association avec des cultures vivrières ou en intercalaire (bande isohypse) avec un minimum de travail du sol. Les mesures visent à augmenter le taux de couverture du sol, accroître sa rugosité et limiter l’érosivité de l’eau de ruissellement, mais également à conserver voire accroître la matière organique et donc la fertilité. Parmi les plantes de service utilisées dans les essais, on citera les graminées comme le Panicum, le Brachiaria ou le Pennissetum et les légumineusescomme le Puerariaet l’Arachispintoï. Les résultats des essais ont montré une réduction significative de l’érosion sur des sols cultivés à fortes pentes, supérieures à 30% (Autfray, 2004). Sur la base des résultats antérieurs, des fiches techniques de lutte contre l’érosion des sols ont été élaborées (Bozza&Chamssidine, 2008).
Les études sur l’érosion ainsi que l’impact des mesures de remédiation réalisées à ce jour ont été conduites à des échelles très réduites ne prenant pas en compte le transfert et la redistribution des flux d’eau et de sédiments au sein du bassin versant, unité de référence pour l’analyse du phénomène et des impacts des mesures de lutte. Il en résulte une compréhension partielle, fragmentée et limitée de l’érosion. Au même titre, la démarche sectorielle appliquée dans la mise en œuvre des programmes antérieurs (approche de type génie rural vs.de type agronomie) n’a pas permis de réunir l’ensemble des acteurs impliqués dans la lutte contre l’érosion et ce, depuis le diagnostic de la situation jusqu’à la co-construction et la réalisation des plans d’action, limitant ainsi l’efficacité et la durabilité des actions.
En milieu naturel, l’érosion se traduit à Mayotte par la mise à nu du substratum rocheux sous l’effet du ruissellement concentré sur d’anciennes coulées de lave. Ces badlands sont localement appelées padzas (terre inculte, nue en mahorais) (Leone, 2012). Difficilement réversible, cette situation conduit à un phénomène de désertification des fortes pentes. La remise en végétation volontaire de ces zones est une priorité pour Mayotte (DDAF, 2003). Des programmes de stabilisation ont en effet été mis en place depuis plus de deux décennies, par plantation d’arbres (acacia mangium), graminées, fougères. Si l’Acacia Mangium est reconnu par certains comme espèce invasive et exotique à Mayotte, elle apparaît pour d’autres une des seules essences suffisamment résistantes pour pousser sur des padzas. (282ha de padzas fixés l’aide de l’Acacia, sur les 1387ha totaux - Boullet V., 2005). Le régime hydraulique des cours d’eau, en milieu tropical, et la nature des sols ferralitiques des sols impactent les lits et les berges des ravines et cours d’eau (Baylac, 2007). Outre les phénomènes de transport solide induisant érosion régressive ou progressive au niveau des lits, la dynamique peut s’accompagner d’érosions latérales fortes pouvant aboutir à des glissements de berges. Là encore, l’anthropisation crée un facteur d’aggravation des phénomènes (embâcle, ouvrage…).
En zone d’habitat rural, les manifestations de l’érosion sont multiples (Bozza, Chamssidine, 2005). Les processus sont décrits comme liés essentiellement à l’aménagement, sans règle d’urbanisme, dans les fortes pentes induisant des terrassements rendant les sols très vulnérables au transport (zones de déblai / remblai, stocks de matériaux). L’absence de canalisation des eaux au niveau des toitures par exemple, ou les dysfonctionnements des réseaux de gestion des eaux pluviales (par colmatage partiel ou total) aggravent le phénomène. Les accès aux parcelles, majoritairement réalisées suivant la ligne de plus grande pente favorisent la concentration des ruissellements et l’érosion. Les impacts directs principaux concernent la déstabilisation des berges des ravines ou l’affouillement de fondations du bâti. A une autre échelle, les axes de communication (Ferret, 2004) sont également impactés par ces phénomènes avec l’observation de phénomène d’érosion parfois complexe, régressive dans les talus couplant ravinement et glissements de terrain.
Expériences déjà conduites
Le projet s’appuie sur les compétences des 5 partenaires du projet, à savoir :
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le BRGM : formations superficielles, instrumentation et suivi hydrologique et sédimentologique, modélisation Erosion, socio-économie, structuration de l’action collective et de formation impliquant des plateformes multi-acteurs et des groupes d’agriculteurs, ...)
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le CIRAD : instrumentation et suivi hydrologique et sédimentologique, modélisation de bassins versants, co-construction de référentiels agro-techniques pour la lutte contre l’érosion et l’augmentation de la productivité des sols, formation technique et académique, conduite d’atelier multi-acteurs pour la gestion durable de bassin versant,
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Naturalistes de Mayotte (communication, animation d’ateliers avec le monde éducatif, scolaire, formation, sensibilisation..)
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CAPAM : suivi technique et économique des exploitations agricoles de Mayotte, veille technique et réglementaire en développement agricole, transfert et diffusion de connaissances en milieu paysan.
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IRSTEA : Instrumentation hydro-météorologique et sédimentologique, élaboration et construction des ouvrages d’art où seront installées les stations de mesure, métrologie, formation technique